aMême quand tu joues dehors par -10°C la musique te rend heureux !

 

(Là c'était rencontre et "kif" surprise avec JO SOUL à Lyon, pour la Croix Rouge)

 

 

 

Il faut être vraiment gonflé pour oser écrire sur la musique... et comme disait Thelonious Monk "arrêtons de parler, allons jouer plutôt"... mais de temps en temps ça fait du bien d'échanger quelques points de vue... voici donc un petit partage "à la bonne franquette"...

 

 

 

En 1995, à la fin d'une semaine d'enseignements intensifs, le fabuleux pianiste Kenny BARRON, qui pourtant préfère de loin le jeu à la parole, nous a posé cette question : "Et maintenant de quoi allons-nous parler ?" - et après un silence :  "Voulez-vous qu'on parle de spiritualité ?"

 

Je me suis demandé ce que ça venait faire là ! A l'époque l'essentiel de ma vie consistait à jouer le plus souvent et le plus longtemps possible, pour ensuite  finir la nuit à fêter ça avec les amis - en jouant encore si possible !

 

Et je pensais que le mot "spiritualité" désignait uniquement la religion… j'ai appris plus tard que la "spiritualité des musiciens" peut désigner tout autre chose que la religion. Suivant les cas on parlera de philosophie ou d'état d'esprit – la motivation en quelque sorte. Qu'on en parle ou pas, c'est un aspect très important de la vie d'artiste, que chacun vit à sa manière, qui colore et qui imprègne  notre vie et notre musique. En tout cas, c'est un aspect déterminant dans le fait qu'on soit "heureux en musique" ou pas.

 

L'expérience montre que... devenir "bon musicien" en pratiquant la musique est une chose... mais être un musicien "heureux en musique" en est une autre. On parle rarement de cet aspect... et pourtant c'est sans doute le point le plus important dans toute une vie de musicien. Comment tu te sens avant, pendant et après avoir joué ? Le constat est parfois terrible : on peut être bon musicien sans pour autant être un musicien heureux.

 

C'est un fait : les musiciens avancés savent tous qu'il ne suffit pas d'atteindre un certain "niveau musical" pour être heureux en musique. En fait le "niveau" technique, l'aisance, est évidemment un facteur de bonheur en musique... "simplement" arriver à jouer les notes comme on le souhaite est déjà un beau résultat… mais sans cette… "spiritualité" du musicien, même en progressant, le niveau est un leurre, et on va de frustration en frustration…

 

J'ai eu la chance de pouvoir croiser des musiciens de haut vol, de pouvoir jouer et échanger avec eux… pour constater que malgré leur "grande réussite" certains n'étaient pas des musiciens heureux. Mais le fait est, aussi, que certain paraissent  être heureux en musique dès le départ. Et pour les autres, ceux qui sont dans cette quête du bonheur en musique, y a t-il une "clé" à connaître ? Je ne connais pas de "clé" universelle. Je sais simplement que certaines démarches et rencontres peuvent vraiment aider.

 

Comme le dit Novecento dans la pièce : "Tu n'es pas fou quand tu trouves un système qui te sauve"... Pour les fous que ça intéresserait, voici donc quelques réflexions, en vrac, sur le thème "être heureux en musique", et que j'aimerais partager avec vous...

 

 

 

1) La transmission en musique / deux extrêmes qui "tuent le groove" :

 

Premier extrême : le nivellement par le bas.

 

Parfois je me demande si on prend les enfants et les débutants pour des handicapés de l'oreille ? Les enfants, même petits, sont les premiers à apprécier de la "bonne musique", jouée et composée par des artistes de talent – qui ont "quelque chose à dire", et musiciens de qualité. Il y a aussi quantité d'exemples de groupes d'enfants – souvent pas en France hélas – qui bien guidés ont un plaisir énorme à interpréter de la "vraie" et "bonne" musique. Nous sommes étonnés de voir ça, mais nous devrions plutôt être étonné de la faiblesse du niveau général en France, par rapport à beaucoup d'autres pays. Oui nous avons aussi nos génies etc… je parle seulement du niveau général.

 

Mais je reviens à mon mouton. Pourquoi proposer aux enfants d'écouter et de  jouer autrement, car ils en sont capables, que "bon" et "bien" ? Il y aurait donc une "vraie musique" et une "musique pour débutants ?" …

 

Je crois que c'est exactement comme l'histoire des "pianos d'étude" : ce qu'on appelle "piano d'étude", en réalité, c'est un piano bas de gamme. Ca permet de le vendre plus facilement. Mais en fait... c'est comme si je vous proposais de conduire un char à foin en vous disant que c'est une voiture d'étude ! Et si vous n'avez pas l'expérience qui permet de conduire une voiture de course, je ne vous ferais pas débuter en charrette, il y a quand même de bonnes voitures accessibles aux débutants.

 

En ce qui concerne la musique, eh bien je pense que c'est pareil ! Je pense qu'il n'y a pas de "musique d'étude". Il y a la "bonne musique", celle qui vous donnera de bonnes sensations autant qu'à l'auditoire, même avec un rythme et trois notes, et la musique "bof bof", qui au mieux vous fera passer un moment convivial, si vous avez  de la chance… Mais c'est quand même passer à côté de l'expérience musicale, avec tout le bénéfice qu'elle est sensée nous apporter.

 

 

Un autre sujet en rapport, et subtilement différent.  On pense souvent : je suis débutant donc c'est normal, ce que je joue est assez '"nul"...

Or l'expérience concrète en ateliers et en cours particuliers, avec des enfants et des adultes dont certains totalement débutants, m'a prouvé et reprouvé que c'est tout simplement une auto-mystification.

 

Bien guidé, si on aime la musique, on peut être tout de suite un "bon" musicien et jouer de la  bonne musique, dès le départ, même avec un rythme et deux notes. Vous allez progresser toute votre vie, ok. Mais vous pouvez – et devriez -  être "bon", et vous sentir "bon", tout de suite.

 

J'aime une autre image : imaginez que vous débutiez en pâtisserie. On vous propose de travailler dans une "cuisine d'étude", avec un four qui chauffe mal, une cuillère trop petite, des ingrédients de mauvaise qualité, et on vous montre comment faire une tarte au goût plutôt fade. Puis on vous fait goûter un très bon gâteau, et on vous dit : "Ca c'est ce que font les "pros" - nous, on  est  seulement des amateurs, on se fait plaisir...".

 

Et là... j'en viens donc à cette phrase que j'entends souvent, et - attention ! – que je respecte, même si elle ne me plaît pas : "je suis amateur, je me fais plaisir, je ne joue que pour le plaisir…" avec un sourire navré, comme pour dire "je joue pas terrible-terrible"…

 

Bon… je respecte et je pense comprendre. Ceci dit, on entend parfois des amateurs jouer "comme des pros", et des pros jouer "comme des patates". Mais entendre cette phrase me laisse souvent pensif.. Parce que ces termes : "amateur" ou "pro", en fait... ça concerne surtout l'urssaf – et heureusement, pas le plaisir ou la qualité de la musique !

 

En plus de ça, quand j'entends cette fameuse phrase, j'ai toujours envie d'ajouter que bien qu'étant non-amateur, je me fais rudement plaisir aussi en jouant ! Bien-sûr je me fais payer, autant que possible, vu que j'y consacre tout mon temps… Personnellement, m'entraîner dur et jouer de bons morceaux , sur un bon piano, dans de bonnes conditions… je kiffe, et c'est bien la raison pour laquelle je m'y suis mis tout entier !!! C'est un plaisir de faire un effort pour pratiquer ce qu'on aime.

 

 

 

Bref, dans ce petit partage, je voulais porter un coup d'estoc à ce premier extrême, qui est à bannir, je pense, pour être un musicien heureux : au niveau des profs,  le nivellement par le bas, et au niveau des "amateurs", l'auto-nivellement par le bas.

 

Même si je respecte tout le monde, évidemment, car chacun son chemin. Je respecte, mais je déplore également. Avec l'accès à la culture qui est possible en France, même si cela semble bouger tout doucement, je trouve qu'il y a vraiment des progrès à faire au niveau de la transmission en général, à bien des niveaux.

 

La légende "La bonne musique c'est pour les pros" et "la mauvaise musique c'est pour les amateurs qui se font plaisir" est bonne… pour les orties !

 

 

 

Deuxième extrême : après le nivellement par le bas,  le dégoûtement par le haut !

 

Les musiciens aiment manger, alors parlons cuisine.

 

J'arrive avec un fouet (de cocher!), je vous dis que malgré nos mauvaises conditions et notre statut de débutant, nous allons faire de la Grande Cuisine et qu'il y a intérêt à assurer. L'avenir du monde, et surtout votre valeur en tant qu'être humain dépendent de ce qui va sortir du four – bonne  ambiance ! 

 

Ou bien encore je suis votre prof de pâtisserie mais je pratique peu chez moi. Le stress de réussir mon gâteau me mine. On m'a appris dans le stress, j'ai pratiqué dans le stress, la pâtisserie me stresse. Mais je suis prof et j'ai besoin de résultat. En cours je vous mets la pression et je vous tape avec une cuillère en bois à chaque fois que vous ratez un mouvement.

 

Et le fin du fin, la trouvaille du siècle car elle est hélas appliquée en musique et a dégouté des millions de personnes  : avant de toucher une cuillère ou un bol je vous force à apprendre à lire des livres de recettes pendant deux ans.

 

Ensuite j'arrive avec mon micro de journaliste : "Alors comment vous sentez -vous ? C'est bien la pâtisserie ?  On s'éclate ?". 

 

 

Appliquez ça à la musique... c'est exactement ce qu'ont vécu... combien de personnes ? Sans exagérer : ce sont plusieurs centaines (milliers?) de personnes qui m'ont confié qu'elles avaient été "dégoutées de la musique"... toutes avec des regrets... pas une semaine, et quasiment pas un concert sans que j'entende ce refrain. C'est impressionnant, même effrayant !

 

En regardant de près, il ne faut pas s'étonner que tant de gens se découragent. Même quand on débute - surtout quand on débute ! - l'instrument devrait être le meilleur possible, et le son qui sort,  la musique que vous jouez devrait vous régaler... et vous devriez vous épanouir dès le début... et votre prof est sensé avoir réalisé ça, et donc se régaler à vous le transmettre ! Mais dans certains   cas, hélas, votre prof ne vous transmettra qu'une façon de stresser en musique !

 

En fait, je pense qu'on peut devenir un musicien très heureux. Ca demande d'une part à considérer la musique comme une pratique artistique et non pas comme un simple loisir.  Jouer de la musique, c'est transmettre une émotion, par exemple. Et garder en tête que le but est de permettre au musicien de s'épanouir à chaque fois qu'il touche l'instrument, et de prendre plaisir à partager ça. Il y a des approches simples et efficaces qui permettent de le faire.

 

Que pensez-vous de ça ?

 

exemple 1           exemple 2          exemple édifiant N°3 en zut mineur

 

 

Qu'ils soient "doués" ou non n'est pas la question. Ces enfants jouent de façon étonnante et ont peut-être déjà des milliers d'heures d'écoute et de pratique...  

 

Mais les enfants qui n'ont jamais appris et qui touchent un instrument pour la première fois nous montrent que le plaisir de jouer n'est pas un but à atteindre plus tard. Observez le plaisir  d'un môme qui tape sur un piano, juste avant que les "grands" lui crient d'arrêter ce vacarme. Vous avez vu cette joie, une joie "pure", non fabriquée ? Vous l'avez sans doute connue vous aussi. Et c'est vraiment ce qu'on recherche en jouant finalement, n'est-ce pas !  Pourquoi perdre cela ensuite ?

 

En se séparant de cette joie simple, parce que tout d'un coup on se met à jouer de la musique dans un état de stress...  qu'est-ce qu'on a gagné ?  Il vallait  mieux continuer à taper n'importe quoi sur le piano en se marrant ! Comme le fait remarquer Kenny Werner on dit "jouer" de la musique et pas "jouer" de la géographie par exemple... On "joue" de la musique. C'est donc une bonne indication de l'état d'esprit qu'on devrait avoir en pratiquant la musique.

 

Posons-nous cette question. Pourquoi ne pas nous faire toujours plaisir en jouant de la musique ? Les enfants ne "font" pas une partie de ballon. Ils jouent au ballon. Quand on arrête de faire de la musique, elle se met à jouer pour nous - et c'est bien meilleur !

 

Une question qu'on peut se poser ensuite : d'où vient le plaisir en musique ? On croit souvent que le plaisir dépend du choix du morceau, de la technique qu'on a etc... mais c'est une réponse très incomplète.  En réalité, si on pousse l'observation, on voit bien que le plaisir est inhérent au fait de jouer, c'est une aptitude naturelle, en nous, très simple et accessible, qui ne dépend pas de notre "niveau" technique ou autre. Même si l'aisance technique, évidemment, peut augmenter le plaisir. Elle peut l'augmenter, mais elle ne fait que l'augmenter, disons qu'elle en rajoute ! Et le plaisir de jouer contribue beaucoup à l'amélioration de la technique.

 

Si le plaisir n'était pas déjà là, même avec un bon niveau, le musicien ne se ferait pas vraiment plaisir... et c'est parfois ce qui se passe, car alourdis et agités par tout un tas de pensées inutiles (je dois bien jouer, je joue très mal, je joue très bien, etc...) on finit par oublier ce... truc principal qui a fait qu'on a décidé de s'y mettre : la joie.

 

Ce qui rend le plaisir de jouer inépuisable, c'est que la musique elle-même est inépuisable. On en finit jamais d'apprendre, de découvrir... ça c'est une grande partie du plaisir aussi n'est-ce pas ! 

 

 

2) Allez hop on enchaine : appliquez-vous, mais pendant que vous vous appliquez, oubliez cette histoire : "je dois bien jouer". Etre heureux en musique est le seul but raisonnable pour un musicien. Et c'est ça qui vous fera vraiment jouer le mieux possible. C'est sans doute bien plus facile et accessible qu'on ne le croit. Ce n'est pas une théorie, simplement se dire que c'est "vrai" ne suffit pas à changer les choses, il faut le mettre en pratique immédiatement, concrètement et à chaque fois qu'on touche l'instrument. Quand on le fait, on progresse beaucoup plus vite et en se faisant vraiment plaisir.

 

3) Etre musicien n'est pas un but en soi : c'est un chemin. Evidemment on n'a jamais fini de progresser, et dès qu'on a atteint un stade on en voit les limites - et alors on pense au suivant ! Je constate qu'une clé essentielle pour être heureux en musique est dans la compréhension et la digestion de ce point.

 

 

4) Pour ne plus empêcher de dormir ceux aiment dire que la vie d'artiste est une vie de fainéant,  j'essaye de ne plus jamais dire : "travailler" la musique - ce qui est un non sens total parce qu'en réalité elle était là bien avant qu'on s'y mette... et que quand tu la découvres... c'est plutôt elle qui te travaille !

 

Donc j'essaye de changer mon vocabulaire. A la place de "travailler", maintenant j'essaye de penser à dire "pratiquer" la musique. Ce qui a l'avantage de plaire à ces fainéants de musiciens que nous sommes tous, tout en conduisant plus vite au même résultat !

 

5) Pratiquer la musique est impossible sans la rencontre, et c'est ce qui en fait aussi la beauté. Si ton but est de te séparer de l'autre tu es un musicien mort. La rencontre c'est ton destin. Rencontre avec l'autre, qu'il soit musicien, public, instrument, émotion, pigeon qui cague sur ton clavier, mais aussi avec tes propres limites et absences de limites. Accueillir la rencontre, accueillir tout ça....

 

6) Tout n'a pas été dit, mais tout ce qui va à l'encontre du but susvisé concernant l'obtention d'un bonheur immédiat et constamment renouvelé de jouer avec la musique, mériterait d'être anéanti, pulvérisé, et oublié. Prendre le temps et observer. Quand ça "coince" malgré tes efforts, au lieu de chercher la solution sur You Tube, tu stoppes un moment pour observer et pour simplement respirer. Si rien ne vient, tu arrêtes quelques minutes, quelques jours, ou quelques semaines... Et puis tu retournes à ton instrument, et tu vois qu'il y a quelque chose de plus paisible, de plus porteur et de plus mature dans ton jeu, tu es sorti de l'impasse, et là tu te dis que ça a vraiment servi à quelque chose de s'arrêter.

 

7) Ne figer aucune théorie. Presque tout le monde a sa théorie pour s'en sortir à un moment donné. Mais cette nouvelle théorie deviendra une nouvelle impasse, parce que la vie est un mouvement perpétuel... et le mouvement n'existerait pas sans le changement, donc sans une certaine mort... Donc exister, c'est aussi disparaitre... c'est comme ça ! Ne fige pas ton approche, laisse la évoluer avec toi. C'est ta conscience des choses qui évolue. En t'exerçant à surfer sur cette vague, ta pratique musicale va t'aider à garder un esprit toujours neuf et pétillant, alors quand ça coince, fais le tour de ta maison à cloche-pieds, tire sur la chevillette et la musique suivra. C'est Yoda ka dit ça. Lol.

 

8) Ton bonheur jaillira-t-il naturellement quand tu auras passé toutes les idées reçues à l'acide cogitocarburologique à particules autolibératrices ?

 

9) Enfin, on peut parler musique et réfléchir pendant des heures, mais mis à part jouer et écouter le plus souvent possible, la meilleure approche, la plus efficace est toujours la plus simple. Explorer les bases encore et encore, voilà une bonne clé pour progresser toujours, et sans jamais s'ennuyer.

 

 10) Et Monk... c'est du poulet ?